« Nous sommes éduquées pour attendre un mari qui résoudra tout. Erreur»

La parité au foyer : Participation

« Je suis mariée... » Dit-elle à mode de présentation et puis elle se tait. Son expression devient sérieuse, impénétrable. Les yeux fixés au sol, elle dit d'une voix faible : « de cela, il fait longtemps ».

Elle lève son regard à nouveau, regard fixement et dit : « en fait, je suis veuve depuis 11 ans. Mais je suis aussi activiste des droits humains... ou peut-être cela c'est trop dire, je travaille pour le développement dans le monde associatif de Butembo, ma ville, et j'aide surtout des femmes. Voilà... c'est cela moi, et je suis là, débout ».

Alphonsine Kamabu a 50 ans et le sourire d'une jeune fille. Elle rit pendant qu'elle raconte des histoires sans arrêt, des histoires des autres, de son village, des blagues. Mais quand il s'agit de parler d'elle-même, elle se crispe, hésite pour parler mais une fois qu'elle commence, elle parle avec énergie. «Beaucoup des femmes congolaises sommes éduquées pour attendre ; attendre l'arrivée d'un mari qui va tout résoudre, qui va tout faire pour nous et nous, nous croyons que nos problèmes sont finis. Mais ce n'est pas comme ça. J'ai appris cela grâce à mon mari, un homme qui prônait la parité et qui m'a ouvert des grandes portes ».

Alphonsine s'est marié librement avec un homme qu'elle aimait, pas à travers un mariage concerté par la famille. « Mon mari était un intellectuel, depuis le début il a insisté pour que je participe à toutes les questions de la maison, pour que j'étudie. Il disait qu'il fallait que la femme congolaise finisse les études universitaires, que si je faisais cela je pourrais ainsi participer pleinement à ma propre vie, à mon propre vécu. On collaborait, nous étions une équipe et il me demandait toujours de l'accompagner dans chaque ville ou pays où il allait travailler ». C'est ainsi qu'Alphonsine est allée habiter, entre autres pays, le Tchad. Pendant sept ans elle a côtoyé des femmes d'autres pays, « c'étaient des femmes de Cameroun, Benin, Togo, Nigeria ; elles étaient là comme moi, en accompagnant leurs maris, mais quand nous faisions des réunions, elles parlaient toujours de leurs travaux, activités, connaissances en commun... et moi, je ne faisais rien. Un jour elles m'ont dit : 'Alphonsine, il faut faire quelque chose pour avoir une vie riche ; un jour tu vas rentrer dans ton pays et si ton mari n'a pas de travail, tu vas faire quoi ? Il faut arrêter d'attendre à la maison, il faut savoir prendre des décisions, des fois les choses ne sont pas éternelles et tu ne sais pas ce que la vie te réserve, surtout dans ton pays en guerre depuis toujours ».

Ne pouvant pas faire des études supérieures au Tchad, Alphonsine a accepté d'apprendre le métier de coiffure et esthétique avec une amie tchadienne. Pendant des mois elle est allée apprendre au salon de coiffure. « Mon mari était heureux de me voir rentrer chaque jour contente, avec des histoires pour lui raconter et on rigolait beaucoup à cette époque-là. Mais en plus j'avais mon propre argent pour faire des économies mais aussi pour faire mes propres achats. Je me sentais pléthorique».

Le retour en RD Congo : Protection

Alphonsine et son mari sont rentrés à Butembo en 1997 après plus de sept années à l'étranger. « Mon mari envoyait des Curriculum vitae mais il ne trouvait pas de travail. Alors avec mes économies et le siens j'ai ouvert un salon de coiffure et c'est moi qui ai maintenu la famille pendant un moment ». A ce moment-là le couple avait adopté deux enfants, malgré les critiques de la belle-famille d'Alphonsine. « Même si nous ne pouvions pas avoir des enfants, mon mari ne m'a jamais fait un seul reproche et n'a jamais permis des commentaires ou des critiques en notre présence ».

Finalement le mari d'Alphonsine a trouvé un travail au Haut-commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) dans le territoire d'Ituri, province Orientale, et ils sont partis de Butembo. « Il travaillait dans un camp de réfugiés soudanais et je me suis présenté comme bénévole pour aider. J'allais travailler tous les jours et je connaissais tout le monde. Le travail me plaisait. Et puis il y a eu la guerre de 1998 ». Appelée aussi deuxième guerre de Congo ou Première Guerre Continentale Africaine, elle a commencé à l'est du pays et a duré formellement jusqu'en 2003, avec la participation de neuf pays africains et plus de 30 groupes armés. « A ce moment-là tout le monde a commencé à fuir parce que les rwandais venaient. Il fallait partir comme tout le monde, dans la brousse. Mais les familles de réfugiés du camp nous dit : 'venez ici, on va vous protéger, on ne vous cherchera pas ici'. Et nous sommes resté, nous sommes passés quatre mois avec ces réfugiés soudanais qui n'avaient rien, qui vivaient dans la plus grande misère, mais qui nous ont tout offert. Ils nous ont sauvé la vie ».

Après quatre mois, Alphonsine et sa famille sont rentrés à Butembo et c'est à nouveau le salon de coiffure qui a maintenu la famille. « C'est là que nous avons découvert que mon mari était malade. Les deux dernières années de sa vie, nous les avons passées ensembles au salon, il m'aidait et nous écoutions toutes les histoires des femmes, de leur vie parfois dure, des problèmes avec de maris violents. Je me suis dit qu'un jour j'aiderais les femmes, et surtout les femmes refugiées ».

Le veuvage : promotion

Les femmes d'âge moyen ou avancée qui perdent leurs maris traversent très souvent des périodes d'insécurité, comme démontrent les nombreuses interviews faites aux femmes du Sud Kivu : perte des propriétés du couple, perte des terres qui empêchent le travail et l'alimentation, détournement des paies si le mari était policier, soldat ou fonctionnaire, et le tout est dû à la corruption, le manque de défenses des femmes et l'appui des autorités coutumières locales.

Autre insécurité dénoncé à travers des SMS qui arrivent au système Femme au Fone, est celle des accusations de sorcellerie et une postérieure justice populaire qui va de la lapidation à l'expulsion de la communauté. Ces SMS parlent toujours des femmes veuves comme étant les principales victimes. Derrière ces accusations il y a maintes fois des intérêts économiques très clairs: prendre aux femmes les terres et propriétés, nier le droit à l'héritage. « Cela est presque toujours présent », affirme Alphonsine, « même si nous étudions, vivons à l'étranger et nous soyons développées, nous sommes des femmes africaines et ça... il parait que c'est inévitable ».

Après la mort de son mari, la belle-famille d'Alphonsine a voulu réclamer les propriétés du couple et la laisser sans rien en argumentant que les biens étaient payés par le mari et qu'une fois mort, tout revenait à sa famille. « C'est grâce aux associations des femmes avec lesquelles je travaille, et c'est aussi grâce aux études que j'ai commencé, à mon instruction, que je connaissais mes droits et que je me suis battu et nous avons gagné à la justice, parce que la justice est la solution aux coutumes rétrogrades contre les femmes. J'ai ainsi gardé ma maison et mon salon de coiffure. Mais c'était très dur cette époque. Après cela la belle-famille m'a tourné le dos ».

Aujourd'hui Alphonsine enseigne à l'Institut Supérieur de Commerce de Butembo (ISC) et est aussi la chef du personnel de l'institution. « Mon mari était mort et je me suis dit qu'il fallait continuer à me développer, à lutter, à prendre des décisions par moi-même, comme il me le disait. Alors j'ai repris mes études et aujourd'hui avec mon travail à l'ISC et mon salon de coiffure je peux vraiment aider des femmes avec des microcrédits, pour leur développement. Il ne faut pas penser que c'est une grande chose, j'aide celles qui sont autour de moi et certaines femmes refugiées ; dans la mesure de mes possibilités je raconte aussi qui était mon mari, ses pensées par rapport aux relations dans le mariage, l'équité et la parité dans le couple, comme c'est bien de collaborer entre mari et femme. C'est un grand problème et occasionne souvent la violence au foyer».

Alphonsine prend de l'air, sourit et fait signe pour que l'enregistreur ne s'arrête pas. « Il faut que les femmes arrêtent d'avoir un esprit d'attentisme ; la femme doit se prendre en charge et ainsi, se libérer, aller au-delà des préjugés, aller de l'avant. Nous appelons les hommes 'papa' et on attend tout d'eux, comme de notre papa, mais ils sont nos compagnons. C'est pour cela qu'il faut être indépendant et égal».

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